Erik le Rouge et ses frasques
Groenland, en anglais Greenland, littéralement « terre verte ». Savez-vous d’où vient ce nom qui fait parfois sourire compte tenu qu’il s’agit d’une région arctique ? Cela provient d’un certain Erik le Rouge, un nom qui vous dit quelque chose n’est-ce pas ? Au X ème siècle Erik s’expatria de Norvège car il était accusé de meurtre et s’installa en Islande, où il épousa Thorhild qui donna naissance à Leif Erikson. Mais Erik n’était pas vraiment un homme paisible et sans histoire, et en 982 il commit un double meurtre. Cette récidive le fit bannir d’Islande par les autorités islandaises pour 3 ans. Ayant entendu les récits de marins qui décrivaient des terres plus à l’ouest, il partit avec quelques hommes et s’installa au sud du Groenland, qui ne portait pas de nom connu par les européens à l’époque. A la fin de son bannissement, il revint en Islande, mais son idée était de repartir fonder une colonie sur cette grande île qui fut baptisée Groenland : en effet, Erik, publicitaire avant l’heure, avait vanté les mérites de ces terres assez fertiles (bénéficiant d’un climat plus doux à l’époque) en parlant de la « Terre Verte » par opposition à l’Islande, « Terre de Glace ». Il arriva ainsi à convaincre un millier de personnes de le suivre. Sur 25 bateaux, seulement 14 arrivèrent à destination car le passage aujourd’hui appelé Détroit du Danemark est soumis à de redoutables courants et tempêtes, et quelques centaines de Vikings islandais s’établirent ainsi au sud du Groenland. « Accessoirement », c’est son fils Leif Erikson qui découvrit un peu plus tard, autour de l’an 1000 le « Vinland », à savoir l’Amérique du Nord, presque 500 ans avant Christophe Colomb ! Cette épopée réussie lui valut les surnoms de « Leif la chance » ou « Leif le bienheureux ». Quelle famille !
Une île immense et contrastée
Gigantesque territoire, en réalité la plus grande île du monde qui ne soit pas un continent, le Groenland gît tout là-haut, au nord-est de l’Amérique du Nord et à l’ouest de l’Islande et du Spitzberg. Géographiquement, il est américain et géopolitiquement, il est européen. Baigné par l’Atlantique Nord et l’océan Arctique, il s’étend entre 59° Nord, ce qui correspond à peu près à la latitude d’Oslo (rappelons que la latitude du cercle polaire est 66°33’), et 83° Nord, à moins de 1000 kilomètres du pôle Nord ! Mais ce qui caractérise surtout ce grand pays, c’est l’immense calotte glaciaire qui recouvre encore 80 % du territoire (malgré sa tendance marquée à fondre), dont l’épaisseur atteint en son centre près de trois kilomètres ! On devrait même parler d’inlandsis, qui définit les calottes glaciaires d’une superficie atteignant au moins 50 000 km 2 : il n’y a que deux inlandsis au monde, celui de l’Antarctique et celui du Groenland. Le climat reflète la taille et la diversité de l’île : au sud-ouest la température en été n’est pas polaire puisque la température moyenne de juillet est supérieure à 10°C, tandis qu’en hiver au nord du Groenland la température moyenne approche les -30°C, le vent violent est quasi-permanent… et songez que le soleil disparaît pendant plus de trois mois ! Le désert de glace central est évidemment très inhospitalier, impropre au développement de la vie, à l’exception de quelques « extraterrestres » comme les tardigrades, invertébrés microscopiques capables de résister à des températures très basses. Finalement, les humains et une partie des animaux terrestres vivent sur les rivages rocheux libres de glace et recouverts de toundra et au bord des fjords.
J’entends le loup, le renard, l’ours et l’hermine…
Toute la faune de l’Arctique se retrouve au Groenland, où la conservation de la nature est une préoccupation importante face aux enjeux climatiques et aux convoitises économiques. Le parc national du nord-est du Groenland est d’ailleurs le plus vaste du monde, pas loin de deux fois la superficie de la France ! Il a été déclaré réserve mondiale de biosphère par l’Unesco il y a quelques décennies. Peu de mammifères terrestres dans cette grande île, mais tous sont typiquement arctiques. À tout seigneur tout honneur, l’ours polaire est bien sûr le plus symbolique, il figure même sur les armoiries du Groenland : un bouclier bleu qui représente les océans Arctique et Atlantique, sur lequel un ours se dresse majestueusement ! Cependant il est nettement moins facile à apercevoir qu’au Spitzberg… où il n’est pas chassé. L’espèce a presque disparu de la côte ouest, on en rencontre encore tout au nord, et sur la côte est où il dérive souvent sur la banquise qui descend le long des côtes. Parfois des rencontres tout à fait inattendues ont lieu : récemment une station de recherche éloignée sur la calotte glaciaire a été visitée par un ours curieux, ce qui est tout à fait inhabituel si loin à l’intérieur des « terres ». Le magnifique loup arctique au pelage blanc ou gris-blanc est un habitant du parc national du nord-est, où les veinards peuvent entendre les hurlements légendaires qui lui permettent de communiquer au sein de la meute ou avec d’autres groupes. Plus facile à observer, le renard arctique est présent partout, y compris près des maisons en été ! Alors qu’en hiver, son pelage blanc ton sur ton le rend nettement plus discret ! Quant à la blanche hermine, aussi ravissante que bonne chasseresse, elle raffole des lemmings, ces petits rongeurs de la toundra…
Les fous d’herbe
Le lièvre arctique, blanc comme neige lui aussi, à l’exception de l’extrémité noire de ses oreilles, vit très au nord et utilise son camouflage pour échapper (pas toujours !) au loup arctique. Et connaissez- vous le seul représentant de la famille des cervidés dans le Grand Nord ? Le caribou bien sûr ! qu’on appelle aussi renne, c’est le même animal. Chez lui, les femelles aussi portent des bois et sa fourrure est l’une des plus chaudes, ce n’est pas pour rien que les Groenlandais et d’autres peuples de l’Arctique privilégient les peaux de rennes comme couvertures ! Mais il ne faudrait pas oublier le plus étrange : le bœuf musqué ! Typiquement arctique, habillé d’une toison laineuse longue de 60 centimètres, ce drôle d’animal est un faux bœuf : ressemblant de loin à un bison, c’est en réalité un cousin proche des chèvres et des mouflons ! Les combats des mâles sont particulièrement impressionnants, ils prennent leur élan et se précipitent l’un contre l’autre, choquant violemment leurs fronts de corne et d’os. Un fracas dont le son porte loin !
Fanons, défenses et moustaches
Observer les baleines est évidemment plus aisé depuis les bateaux, justement le moyen de transport le plus fréquent pour visiter le pays. Baleine à bosse, petit rorqual et rorqual commun seront les baleines à fanons les plus faciles à voir. Jadis chassée à outrance, la baleine franche boréale est devenue très rare et l’apercevoir est assurément un coup de chance. Afin de nager sous la glace, elle n’a pas de nageoire dorsale, et son crâne renforcé lui permet de casser la banquise pour venir respirer : une belle adaptation polaire ! Mais ce qui reste le plus impressionnant, c’est sa longévité, elle peut vivre plus de 200 ans ! Loin là- haut au nord du Groenland, on rencontre parfois les baleines à dents typiquement arctiques, le béluga blanc éclatant et le narval à la longue défense torsadée, licorne des mers boréales. Quant aux phoques, ils sont plusieurs à fréquenter les eaux groenlandaises. Le phoque du Groenland bien nommé, le phoque à capuchon au nez boursouflé, le phoque barbu qui aurait dû s’appeler le phoque moustachu, le phoque annelé que l’ours polaire apprécie à son petit-déjeuner, le phoque commun également appelé veau marin… sans oublier le morse, autre symbole de l’Arctique muni de belles défenses d’ivoire qui ont failli lui coûter la vie !
Groenland à tire d’ailes
Plus de 200 espèces d’oiseaux ont été répertoriées au Groenland, mais une soixantaine seulement y nichent. Parmi les plus spectaculaires, citons le macareux moine au bec multicolore, l’eider royal qui est sûrement l’un des plus beaux canards du monde, l’oie des neiges au plumage immaculé ou la sterne arctique championne de la migration. Mention spéciale pour le majestueux faucon gerfaut ou l’impressionnante chouette harfang, rapaces de belle taille et parfaitement adaptés au milieu arctique. Mais n’oublions pas les plus petits, comme le bruant des neiges et le bruant lapon… Décidément, les amoureux de la nature ne s’ennuieront jamais au Groenland !