Une île isolée
Confetti perdu dans l’immensité du Pacifique, cette île de 163 km2 est née de 3 éruptions volcaniques sur des milliers d’années à l’époque Pléistocène, toutes issues d’un point chaud de la faille de Nazca. Si l’on observe une carte, on distingue très clairement les 3 cratères, qui ont permis la formation de l’île. On distingue aussi cette forme en boomerang, ou en croissant, que l’on retrouve aussi sur les pendentifs que portaient les femmes pascuanes, tout comme sur le drapeau de l’île. Il s’agit d’un Reimiro, contraction de Rei (la proue) et de Miro (bateau), rendant de fait hommage à leurs ancêtres polynésiens.
Cette île, située à près de 3 800 km de la capitale chilienne, Santiago du Chili, pays dont elle dépend aujourd’hui, a aussi la particularité d’être l’une des extrémités du triangle polynésien, s’étirant vers l’Archipel d’Hawaï au Nord, à la Nouvelle Zélande à l’Ouest. Elle fait partie de ces terres les plus isolées du monde, ayant comme plus proches voisines, d’une part, l’île des Gambiers en Polynésie française, située à plus de 2500 km, et d’autre part celle de Pitcairn, plus proche, à 2 250 km, et entrée dans l’histoire pour avoir accueilli les révoltés du célèbre « Bounty »…
Une île explorée
Cette île a donc été colonisée par les Polynésiens entre 600 et 900 après J.C. à l’aide de leurs pirogues doubles. Il faut préciser qu’ils étaient de brillants navigateurs et maîtrisaient la navigation astronomique. La tradition orale transmise de génération en génération et les tests ADN réalisés ces dernières années par les scientifiques, laissent à penser que ces peuples seraient originaires de l’actuelle Polynésie française, et plus particulièrement des Marquises.
Ces premiers colons auraient abordé l’île par la plage d’Anakena, seule plage de sable blanc de cette île volcanique, située sur la face Nord-Est de l’île. Ce serait ici que Hotu Matu’a, premier Roi de l’île, aurait mis pied à terre. Cette île devait à l’époque être bien différente d’aujourd’hui, car elle devait être recouverte de palmiers et de plantes comestibles, alors qu’aujourd’hui elle présente un aspect plutôt pelé.
Mais l’isolement géographique de cette île a conduit la civilisation Rapa Nui (les habitants de l’Ile de Pâques), à faire évoluer leurs cultes et leurs croyances. On retrouve sur l’île, des Ahu, ces plates-formes rectangulaires réalisées à l’aide de pierres volcaniques, présentes en Polynésie et qui sont des espaces sacrés, permettant de relier les hommes, les ancêtres et les dieux. Mais à l’Ile de Pâques, cette civilisation a été la seule du triangle polynésien, à ériger sur ces plates-formes des statues monumentales, les Moaï. Ces derniers seraient issus de la croyance locale, où le Mana, énergie spirituelle de tout un chacun, pouvait survivre à la mort physique et pouvait influer sur le cours des événements des tribus ou de leurs familles. Les Moaï furent tous sculptés dans les flancs du volcan Rano-Raraku, avant d’être érigés sur les Ahu de l’île. Ils représentaient des personnages importants, des chefs, des personnes influentes et emblématiques de chaque peuple. Ils étaient coiffés d’un Pukao, ce chignon de scories volcaniques rouges, provenant du cratère du volcan Puna Pau.
Cette civilisation Rapa Nui vit l’arrivée le 5 avril 1722, du hollandais Jacob Roggeven. Ce dernier, jetant l’ancre face aux rivages de l’île le Dimanche de Pâques, décida de la nommer ainsi. Puis ce fut au tour du péruvien Felipe González de Haedo, en 1770, à la tête d’une expédition bien décidée à réclamer cette terre au profit de la couronne d’Espagne. Le célèbre explorateur britannique James Cook lui succéda, abordant à son tour l’île en 1774, avant le passage de l’explorateur français Jean-François de Lapérouse qui y fit escale le 9 avril 1786. Ces explorateurs furent certainement les derniers témoins de ce culte des Moaï, car les illustrations réalisées lors de ces expéditions nous présentent ces statues parfois encore debout, ou bien renversées, face contre terre.
Une île aux traditions ancrées
On imagine alors que l’oisiveté de l’île rencontrée par les pionniers, a dû se tarir et attiser les rivalités entre les tribus. Dans un geste de révolte, de guerre fratricide, les diverses tribus décidèrent de faire chuter les Moaï des peuples rivaux. C’est alors qu’émergea, dans un souci d’apaisement, le culte de l’Homme Oiseau. Au mois de septembre, début du printemps dans l’hémisphère Sud, l’île voyait arriver une volée de sternes, qui vener nicher sur les îlots isolés du littoral de l’île. Les chefs de tribus convergeaient alors vers le site cérémoniel de Orongo, situé près du volcan Ranu Kau, à la pointe Sud-Ouest de l’île. Chacun d’entre eux y présentait un candidat, un athlète qui participerait à la compétition. Le principe était simple : chaque candidat devait descendre la falaise du volcan jusqu’à la mer, puis nager jusqu’aux îlots, afin d’y récupérer un œuf de sterne et le ramener à son Chef. Cette œuf, signe de renouveau, offrait alors le pouvoir au Chef de la tribu vainqueur, qui devenait l’Homme Oiseau. Un pétroglyphe représente encore aujourd’hui sur le site cette compétition. Ce n’était pas la seule trace de ce passé, car on la retrouve également, au dos d’un des plus célèbres Moaï, présent sur le site et emporté le 7 novembre 1868, par une expédition anglaise. Présenté au British Museum de Londres, ce Moaï a été nommé Hoa Hakananai'a, signifiant dans la langue Rapa Nui, l’ami dérobé, ou l’ami perdu et est depuis de nombreuses années réclamé par les pascuans, qui souhaitent simplement son retour sur l’île…
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas citer Pierre Loti, considéré comme l’un des ambassadeurs, ayant nourri l’imaginaire collectif européen au sujet de l’Ile de Pâques, grâce à ses illustrations et à son livre, L’Ile de Pâques Journal d'un Aspirant de la Flore. Nous vous invitons, si vous souhaitez en savoir plus, à visionner la conférence que lui a dédiée Claude Stefani, Conservateur du Musée de Rochefort et de la Maison de Loti.
Après la guerre du Pacifique de 1883, où le Chili mit en déroute la Bolivie et le Pérou, le Chili décida alors de mettre un terme aux velléités de la Grande-Bretagne et de la France sur cette île. Il présenta le 9 novembre 1888 au Roi de l’île, « un acte de cession », octroyant alors au Chili la possession complète et entière de l’île. Ce document, rédigé à l’époque en espagnol fait encore aujourd’hui parler de lui, car la traduction Rapa Nui semblait parler seulement de « protection » et non de cession…
Photos : Jean-Charles Thillays