« Tu seras médecin, mon fils… »
Celui que l’on surnomme le Gentleman des Pôles est né le 15 juillet 1867 à Neuilly-sur-Seine. Fils du célèbre neurologue Jean-Martin Charcot, le jeune Jean-Baptiste lui, est attiré par la navigation… À peine âgé de 5 ans, il emprunte un balai et un torchon à sa mère, afin de gréer son esquif, une modeste caisse à savon trouvée dans une des remises de la demeure de ses grands-parents à Neuilly. S’élançant sur l’étang familial, cet épisode se conclura par un naufrage, suivi de rigoureuses remontrances visant à dissuader le jeune enfant de réitérer de telles aventures… Il n’en sera rien… Les vacances familiales de ces jeunes années sur la côte normande, conforteront dans son esprit son attirance pour la mer… Se confiant à son père, ce dernier lui affirmera : « Tu seras médecin, mon fils… ». Il s’exécute, étudie alors la médecine, mais fait en parallèle l’acquisition de son premier yacht… Effectuant son service militaire en 1887, comme médecin auxiliaire, tout d’abord au bois de Boulogne, il se fait muter avant la fin de son service dans le bataillon des Chasseurs Alpins, tout fraîchement créé. Premières expériences dans un milieu hostile à l’homme…
Le "Pourquoi pas ?"
En 1893, à la disparition de son père, libéré de toute contrainte familiale, il souhaite laisser libre cours à sa passion… Il épouse en 1895 la petite-fille de Victor Hugo, Jeanne, mariage qui malheureusement ne survivra pas à la première expédition antarctique… Charcot n’y est pas encore… Il parfait ses connaissances en navigation, faisant l’acquisition de yachts de plus en plus grands, portant tour à tour le nom de Pourquoi pas ?. La légende veut que ces mots, cette réponse, fût l’adage dès le plus jeune âge, du jeune garçon, à quiconque voulait contrarier ses plans…Après s’être forgé une solide expérience des mers du Nord, lors des navigations estivales, à bord de ses yachts, Charcot décide en 1903 de faire construire un navire taillé pour affronter les contraintes polaires… Ne disposant pas des capacités financières lui permettant de clore le budget d’un nouveau Pourquoi pas ?, il organise une grande souscription nationale auprès des français, grâce à l’appui du journal Le Matin. Cette souscription rencontrant l’effet escompté, Jean-Baptiste Charcot décide alors de rendre hommage à ces souscripteurs, en nommant ce premier navire d’exploration, Le Français. Construit à Saint Malo, ce trois mats goélette, armés de matériels scientifiques, avec un équipage de 25 hommes, dont des spécialistes pluridisciplinaires, s’élance en 1903 du Havre pour la péninsule Antarctique.
Après avoir fait de brèves escales le long de la côte sud-américaine, c’est du port d’Ushuaia que le navire plonge vers l’inconnu… 22 mois d’exploration de la péninsule, avec un hivernage à l’abri de l’Île Wandel, Le Français, fatigué des rudesses rencontrées sous ces latitudes, est vendu à leur retour en Amérique du Sud, aux Argentins… L’expédition rentre en paquebot de ligne vers la France, avec près de 75 caisses d’observations scientifiques, 1000 km de côtes relevées et 3 cartes marines détaillées…
La France accueille alors en héros ces hommes ayant reculé un peu plus les lignes du monde inconnu… Alors que Charcot est acclamé et reconnu, sa vie personnelle est plus mouvementée… Jeanne, sa femme, a obtenu le divorce et Charcot, marqué par cette épreuve, jure de ne jamais se remarier. Vœu pieux, tombant sous le charme de Marguerite Cléry qu’il rencontre et épouse en 1907… Mais alors qu’il convole en noces, Charcot suit la construction d’un nouveau yacht, voyant le jour, lui aussi, dans les chantiers Gaultier de Saint-Malo… Souhaitant retourner en Antarctique, Charcot fait réaliser dans ce chantier, le navire qui deviendra l’ambassadeur de l’exploration française, Le Pourquoi pas ?, quatrième du nom, lancé en 1908, armé à nouveau au Havre.
La seconde expédition française en Antarctique appareille de la cité Océane en Août de la même année. Le navire a été pensé par Charcot, qui est certes un scientifique, médecin, mais également un marin ! Le navire a été taillé pour les rudesses polaires, mais il dispose de 3 laboratoires et de près de 1500 ouvrages, l’ensemble dédié à la recherche scientifique. Longeant les côtes de Patagonie, c’est de Punta Arenas que Le Pourquoi pas ? met cap au Sud, vers l’Antarctique. Cette deuxième campagne est encore plus riche que la première, ayant collecté des centaines d’échantillons divers, relevé des milliers de kilomètres de côtes et même découvert une nouvelle terre nommée Charcot, en l’honneur de son père…
Dernière expédition islandaise
De retour en France, à Rouen en 1910, Charcot poursuit ses explorations scientifiques en Arctique avant d’être mobilisé en 1914, comme médecin. Il soumettra à la France, puis à l’Angleterre l’idée de construire des bateaux pièges, navires de profil ressemblant à des chalutiers, mais conçus pour la lutte anti-sous-marine. Charcot, médecin de réserve, obtient au passage un diplôme de Commandant et passera la fin de la guerre à sillonner sans relâche les côtes afin de traquer les célèbres U-Boot allemands. Après-guerre, il suivra la remise en état de son navire et poursuivra ses explorations dans le Nord. Partageant son temps, entre les explorations maritimes l’été et les rencontres, colloques et conférences auxquels il est convié, afin de partager avec le public ses connaissances des pôles et alors qu’il prépare l’Année Polaire Internationale, il rencontre en 1934 Paul-Emile Victor au Musée de L’homme. Le jeune homme arrive à convaincre Charcot de l’embarquer sur son navire, en partance pour Groenland… Les deux hommes se lient d’amitié. Charcot et Victor poursuivront en parallèle leurs découvertes de cette île… Victor d’ailleurs, sera l’un des derniers à côtoyer Charcot et ses hommes, après une ultime rencontre sur les côtes du Groenland… Le navire, ayant terminé sa campagne d’études sur la côte Est du pays, mettra cap vers Reykjavik. Après cette ultime escale, quelques heures à peine après leur appareillage, le navire sera pris dans une terrible tempête et sera drossé à la côte, sur les écueils des rivages islandais… Un seul survivant à ce terrifiant naufrage, le maître d’équipage Le Gonidec, qui témoignera des événements de cette terrible nuit du 16 septembre 1936, où la France perdit, avec tous ces marins, l’un des plus grands explorateurs français…
© Illustration par Kerzoncuf, J. — The University of Washington Libraries, Domaine public, Lien